NAJI HAKIM
NAJI HAKIM

La musique ou les musiques de l'après-guerre

NOUVELLES RIVE GAUCHE — N° 257, mai 2000 / 5
 

Beaucoup de choses ont changé dans le paysage musical français.

Musique savante

Les musiciens français de la première moitié du XXe siècle, comme Debussy, Ravel, Poulenc, Honegger ou encore Stravinsky, ont tiré leur substance du langage tonal des musiques de la fin du XIXe s., en élargissant le concept de tonalité par des modulations à des tons éloignés, en donnant des couleurs nouvelles aux accords, par ajout de notes et en étendant le cadre rythmique. Au lendemain de la guerre de 39-45, des changements radicaux se sont opérés.

Suite au courant de la musique sérielle de l'école de Vienne, avec Arnold Schœnberg en tête, des compositeurs comme Pierre Boulez ont cru en une tabula rasa, faisant fi de toute généalogie propre aux langues musicales de toutes les ethnies, occidentales ou autres, pour prétendre les remplacer par des approches intellectuelles, expérimentales (inventions de systèmes musicaux ou d'instruments de synthèse, etc.), électro-acoustiques, ou encore par des "musiques" résultant du hasard. La diversité des nouvelles notations musicales donne une image d'un univers sonore distordu, sans véritables points de repère, sans un soleil autour duquel graviter. Comme l'a écrit Olivier Messiaen : " Musique sérielle, musique dodécaphonique, musique atonale... Le résultat est identique. On a aboli la résonance. Le reste, fonctions tonales ou forme sonate, disparaît sans que cela me préoccupe. Mais, sans résonance, seul demeure un sentiment de noirceur ".

Olivier Messiaen est un cas isolé. Il se distingue par l'invention d'un système musical basé sur des modes à transpositions limitées, des rythmes à valeurs ajoutées et des chants d'oiseaux. Il n'y a pas de volonté de rupture par rapport au patrimoine séculaire mais une volonté de prolongation par ajout. Sa démarche esthétique s'inspire des philosophies artistiques du Moyen-Age ; ainsi sa musique est-elle marquée par un remarquable souci des proportions. La grande originalité de son message se situe dans la correspondance entre vérités d'ordre théologique et symboles musicaux.

D'autres compositeurs, comme Serge Nigg ou Henri Dutilleux, pour ne citer que des aînés, continuent à s'exprimer dans une logique de type classique. Tous deux, brillants orchestrateurs, réussissent à conjuguer rigueur et hédonisme.

Musique populaire

Après la guerre, les musiques populaires en France, comme dans beaucoup d'autres pays, vont connaîtremalheureusement, le déclin suite à l'invention du haut-parleur et des musiques commerciales ipso facto.

Le jazz subit aussi une désaffection en faveur des musiques commerciales qui triomphent. Les ethnies masquent leurs reliefs, gomment leurs particularités pour se fondre dans la platitude de la mondialisation générale qui engloutit peu à peu la planète. Heureusement, il existe quelques noyaux de résistance salutaire, des "gardiens du feu", en somme. Il y a une différence considérable entre le phénomène réducteur de l'acculturation musicale imposée sournoisement par des trusts commerciaux puissants et les influences ou échanges culturels authentiques toujours enrichissants et vivifiants.

Musique liturgique

Le changement radical va s'opérer au lendemain de Vatican II, à la suite d'interprétations diverses et contradictoires des textes relatifs à la musique. La musique sacrée a tendance à perdre, en France, sa vocation contemplative et ses caractéristiques esthétiques au sein de la liturgie et s'est réfugiée soit au concert soit dans des liturgies soeurs hors de nos frontières, en particulier en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis où les productions musicales chrétiennes, du Moyen Age à nos jours, continuent d'être cultivées par les Eglises comme un art liturgique vivant.



Naji HAKIM 
Organiste titulaire du Grand-Orgue de l'église de la Trinité de Paris, 
Professeur d'analyse au Conservatoire de Boulogne-Billancourt 

 

© 2003 www.najihakim.com