Congrès International de Musique Sacrée sur le thème de la Formation Musicale des Prêtres et des Religieux, organisé par la Consociatio Internationalis Musicae Sacrae (CIMS) - Pontificium Institutum Musicae Sacrae Romae - 11.11.2005
Introduction
C’est un très grand honneur et un plaisir pour moi, en tant que musicien chrétien, d’être présent aujourd’hui parmi vous, grâce à l’heureuse initiative de la CIMS d’organiser un symposium sur la formation musicale du clergé et des religieux, un sujet qu’il devient urgent de traiter en profondeur si l’on se réfère aux expériences souvent douloureuses et frustrantes vécues par les musiciens d’Eglise. Les réflexions que je voudrais partager avec vous, reposent en grande partie sur ma propre expérience d’organiste liturgique pendant plus de 30 ans dans diverses églises du diocèse de Paris, ainsi que sur le témoignage de nombreux collègues français et européens.
Devant le constat général du déclin musical observé de nos jours au sein de l’Eglise catholique et qui affecte particulièrement les organistes, nous sommes amenés à nous interroger sur les raisons profondes de ce déclin. Notre Saint Père, du temps où il était encore le cardinal Ratzinger, a affirmé que « La vraie liturgie est cosmique et non réduite au groupe ». La liturgie se serait-elle malheureusement « réduite au groupe », au lieu de se situer sur un plan « cosmique » et transcendant ? Quelle part de responsabilité joue dans ce phénomène l’implication grandissante des bonnes volontés paroissiales non professionnelles dans le domaine musical ? De quelle tâche infâmante sont donc marqués les musiciens d’Eglise pour que, d’une manière générale, le clergé et ses conseillers laïques, les aient délibérément écartés de tout pouvoir décisif ni même consultatif quant aux choix musicaux, au mépris de leurs compétences ? Reste-t-il encore une place véritable au musicien professionnel chrétien dans l’Eglise catholique ? Dieu ne mérite-t-il pas mieux qu’un répertoire indigent, d’un amateurisme démagogique ?
Après un aperçu des principales formes liturgiques du répertoire organistique, nous tenterons de répondre à tous ces questionnements préalables et de proposer des solutions pour sortir de ce qui est devenu une impasse totale, à partir de la situation actuelle de l’orgue et de l’organiste dans la liturgie catholique en France.
1. Le répertoire pour orgue
Le répertoire d’orgue peut se classer de différentes manières à partir des sources d’inspiration, des styles ou de sa destination.
1.1. Les sources d’inspiration
Le compositeur-organiste peut puiser son inspiration d’artiste-chrétien dans le chant liturgique, la parole sacrée, mais aussi dans le répertoire profane ou encore dans sa propre imagination.
1.1.1. Le plain-chant
Il n’y a qu’une seule forme de musique liturgique : le plain chant (O. Messiaen)
Comme source d’inspiration, le plain-chant a alimenté une grande partie du répertoire organistique catholique depuis Conrad Paumann au XVe siècle jusqu’aux compositeurs plus récents comme Jean Langlais ou moi-même. La production allant du XVIe au XVIIIe siècles est particulièrement riche grâce aux œuvres de Antonio de Cabezon, Girolamo Cavazzoni, JehanTitelouze, Pablo Bruna, Girolamo Frescobaldi, Guillaume-Gabriel Nivers, André Raison, François Couperin, Nicolas de Grigny, pour ne citer que les plus connus. Au XXe siècle, Charles Tournemire, dans son œuvre monumentale L’Orgue Mystique, a composé 52 messes pour orgue suivant l’année liturgique, en paraphrasant de nombreux thèmes de plain-chant.
1.1.2. Le choral
La plus haute forme d’expression de la musique d’orgue se trouve dans le Choral (Ch. Tournemire)
Le choral a inspiré les compositeurs de tradition luthérienne, en particulier en Allemagne et dans les Pays-Bas du Nord (par ex. Jan Pieterszon Sweelinck, Samuel Scheidt, Dietrich Buxtehude, Jean-Sébastien Bach).
1.1.3. La Parole
Si beaucoup de compositeurs chrétiens comme Bach ou Tournemire s’inspirent des répertoires liturgiques vocaux, d’autres ont puisé leur inspiration directement dans les Saintes Ecritures ou les écrits des Pères de l’Eglise ; je pense en particulier à mon illustre prédécesseur à l’église de la Trinité, Olivier Messiaen, dont l’œuvre est, selon ses propres termes, « musique théologique ».
1.2. Les styles
Ceux-ci sont fonction de l’esthétique et de l’évolution de la facture d’orgue depuis l’époque de la Renaissance. Généralement, les organistes jouent des pièces de style baroque français ou allemand, romantique ou contemporain. Le style baroque français se caractérise par une utilisation coloriste de l’orgue, influencé par l’opéra (voir les récits, dialogues, Grand-Jeu dans les Livres d’orgue des XVII et XVIIIe siècle), et servi par des instruments riches en plans sonores contrastés, tels les orgues des Clicquot. Le style baroque allemand s’en distingue et favorise l’écriture contrapuntique avec Jean-Sébastien Bach comme principal représentant ; les orgues de la dynastie des Silbermann sont caractéristiques de cette esthétique. Le style romantique, illustré par Félix Mendelssohn, Franz Liszt, César Franck, rapproche l’orgue de la musique symphonique. En France, la facture d’orgue a favorisé l’éclosion de ce style grâce aux nouveautés sonores et techniques apportées par le grand facteur Aristide Cavaillé-Coll. Enfin, le style contemporain a consacré l’éclatement des formes et des langages, dans un sens d’ouverture et de recherche que ce soit sur le plan du langage, (voir les œuvres d’Olivier Messiaen et de Jean Guillou) que sur le plan de la conception instrumentale.
1.3. Destination
Même si l’on distingue le cadre liturgique strict, c’est-à-dire la messe ou l’office, du concert, il est très difficile, voire impossible et peu souhaitable de chercher à établir une dichotomie au niveau du répertoire, au risque d’écarter une littérature d’excellente facture, capable d’élever les esprits vers la prière.
1.3.1. Le cadre liturgique strict
Dans le répertoire catholique, mis à part les musiques fonctionnelles présentes essentiellement dans les oeuvres de la Renaissance et de l’époque baroque mentionnées plus haut, il existe peu de musique écrite spécifique pour la liturgie ; les organistes ont toujours préféré avoir recours à l’improvisation, plus souple à adapter aux circonstances et aux nécessités liturgiques. Stricto sensu, les œuvres du génial serviteur du culte luthérien J. S. Bach n’ont pas été conçues pour le cadre catholique, ce n’est pas pour autant qu’il faudrait priver notre prière communautaire de cet important témoignage de foi chrétienne. Mais là ne s’arrêtent pas les contradictions auxquelles l’Eglise catholique doit faire face aujourd’hui.
1.3.2. Le concert : élargissement de la notion de liturgie
Ainsi, César Franck, Charles-Marie Widor, Louis Vierne ont commis une œuvre universelle pour orgue sans rapport avec le répertoire liturgique, comme le sont d’ailleurs tous les préludes, fantaisies, toccatas et fugues de Jean-Sébastien Bach ; mais son charisme universel, élève l’homme à Dieu, à l’intérieur comme à l’extérieur des cloisons de nos églises. Ces œuvres, même non basées sur un support religieux, peuvent prétendre à la sacralité ; comme le chante le psaume 150, « Que tout ce qui respire loue le Seigneur ! ». Il serait totalement arbitraire et dommageable de vouloir exclure de la sphère sacrée toute œuvre ne faisant pas référence explicite au domaine religieux. Allons-nous encore continuer pendant quelques siècles encore à être la risée des musicologues en cherchant par tous les moyens à définir dans la musique ce qui serait « impur, lascif ou profane », pour reprendre la terminologie des décrets tridentins ? Aujourd’hui de telles notions subjectives et forcément liées à des contextes culturels changeants ne prêteraient qu’à sourire et ne reposent sur aucun critère objectif valable. Après tout, l’artiste croyant fait aussi partie du Peuple de Dieu et, à ce titre, les œuvres qu’il offre à son Créateur sont dignes de tout le respect. A partir du moment où une création artistique repose sur une démarche de foi, elle ne peut être que sacrée dans son essence.
1.4. Place de l’improvisation
L’improvisation est la pierre musicale à l’état pur. Très souvent l’œuvre composée trouve son origine dans l’improvisation. L’improvisateur-compositeur, à travers toutes les époques, a su offrir à ses confrères organistes un répertoire de compositions liturgiques. Les livres d’orgue du XVIIe siècle s’adressaient, en priorité, aux organistes qui ne savaient pas improviser. Dans les concours de recrutement pour le poste d’organiste des grandes cathédrales, basiliques ou collégiales européennes, l’improvisation tenait une place décisive, depuis le XVIe siècle au moins. Sur le plan pratique, l’improvisation a l’avantage de pouvoir s’adapter aux durées, au caractère et au temps liturgiques. Comme pour le répertoire écrit, l’improvisation peut s’appuyer ou non sur le répertoire vocal ou sur des textes sacrés, pour des paraphrases accompagnant la prière ou l’adoration.
2. Les conditions d’exercice
On nous répète sans cesse : « L’église n’est pas une salle de concert, ni un conservatoire » : pourtant, au Moyen Age, où il n’y avait pas de conservatoire, c’est l’Eglise elle-même qui enfanta la musique savante et lui donna une formidable impulsion, en créant à l’ombre de ses cathédrales, les maîtrises, véritables pépinières de musiciens qui essaimèrent partout en Europe, pendant des siècles. Actuellement, en France comme ailleurs, sauf très rares exceptions, les maîtrises et les maîtres de chapelle ont été rayés de la carte liturgique catholique, et l’organiste a de plus en plus de mal à sauvegarder sa place, ne serait-ce que pour pouvoir simplement répéter sur son instrument. Les contraintes horaires qu’on cherche à lui imposer sont inadmissibles d’après les règles sociales modernes et nuisibles à son équilibre personnel ou familial. Parfois, il lui est consenti un temps de répétition en journée, coïncidant avec d’autres interventions de maintenance avec leur cortège de bruits divers (aspirateurs, travaux, visites guidées etc.) : quel manque de considération et pour l’artiste et pour la musique qu’il joue !
Nos enfants, Eglise de demain, sont privés de manière scandaleuse du répertoire de chant liturgique de nos pères, source séculaire d’inspiration pour l’organiste, compositeur, improvisateur ou interprète. De quel droit comdamne-t-on les musiciens liturgiques anciens et leurs œuvres à un Purgatoire injuste ? Comme vous le savez bien, un musicien n’est en contact tous les jours qu’avec des vivants, auteurs anonymes du chant grégorien ou compositeurs reconnus comme Josquin, Bach, Mendelssohn ou Stravinski, bien vivants, comme les architectes qui ont construits les cathédrales et leurs chaires de vérité. Mais, hélas, hauts-parleurs, micros, sonos, " musak " d’église avancent… Aujourd’hui, des aberrations musicales sont pratiquées dans l’Eglise occidentale, par une ignorance qui équivaut à un grave péché d’orgueil, l’incompétence et l’amateurisme institutionnalisés se sont substitués aux valeurs des vrais musiciens : cantiques de piètre qualité que l’organiste se voit obligé d’accompagner contre toute sa conviction réelle, parfois avec tambours dans des acoustiques réverbérantes de cathédrales, accompagnement du célébrant pendant la consécration, clappement des mains pendant le chant de l’assemblée ; dandinement des officiants au maître autel, ensevelissement du thesaurus musical de l’Eglise, que ce soit le répertoire grégorien, le chant polyphonique ou le choral. Dans ces conditions, comment l’organiste et la musique qui doit naître de ses mains arriveraient-ils à s’épanouir dans ce néant mélodique?
Conclusion :
Les améliorations proposéés
L’organiste est recruté par le clergé en pleine connaissance de cause ; il convient donc que ce même clergé lui témoigne la plus grande confiance :
Comme nous enseigne St Paul dans l’épître aux Galates, la confiance dans les autres est fruit de l’Esprit au même titre que la Charité, la Joie, la Paix, la longanimité, la serviabilité ou la bonté (Ga. 5/22, 23). L’organiste et l’éventuel maître de chapelle sont les seuls membres du personnel d’une église à avoir étudié en profondeur la musique et il serait normal de les consulter pour tout ce qui relève de cette compétence. : la qualité de nos liturgies s’en trouverait considérablement améliorée, à l’instar d’une pratique bien établie chez nos frères protestants où pasteurs et organistes oeuvrent ensemble à l’élaboration des cultes.
La qualité des prestations de l’organiste, sa communion sincère à l’esprit liturgique et la sérénité de son esprit seront bien mieux garanties par des conditions de répétition décentes. N’importe quel musicien a besoin de répéter quotidiennement, avant le coucher du soleil…
L’orgue, souffle sacré et l’organiste, tel le psalmiste de la Bible, doivent pouvoir continuer à sonner, vibrer et prendre part à l’inextinguible œuvre du Dieu vivant !
Pour la gloire de Dieu et le salut de l’homme, Chers Pères, n’empêchez pas la vraie musique !
Naji Subhy Paul Irénée Hakim